jeudi 24 juin 2010

La Halle Freyssinet solidaire autour de Dominique de Villepin

PARIS - Samedi 19 juin 2010, le Paladin s'est rendu à la Halle Freyssinet afin d'assister au lancement officiel du mouvement politique de Dominique de Villepin: République Solidaire, construite sur les bases et acquis de l'association Club Villepin, créée durant l'été 2009.



A l'occasion d'un discours d'environ une heure et quinze minutes, où presque chaque mot était mesuré au plus juste, l'ancien premier ministre de Jacques Chirac, entouré de quelques élus encore fidèles, a lancé un appel à l'unité et présenté les grandes lignes de sa politique générale pour faire renouer la France avec la confiance, la décision, la responsabilité, l'indépendance, la solidarité et l'Europe. Le discours de DdV a été mis en perspective avec l'héritage politique chiraquien, dont les partisans et nostalgiques constituent aujourd'hui le noyau dur du camp villepiniste. Avec le lancement de ce mouvement, DdV se place comme l'alternative à la conduite politique de Nicolas Sarkozy et du gouvernement. Une alternative qui n'est pas une rupture: DdV n'a pas pris ses distances avec l'UMP. Le rappel de son bilan comme premier ministre de 2005 à 2007 est l'occasion de faire resurgir les noms de Jean-Louis Borloo, Gérard Larcher, Thierry Breton et Jean-François Copé: la main de DdV est tendue, mais peut-on sérieusement envisager une réconciliation sincère entre les collaborateurs d'hier? Probablement pas et la vigueur de ses attaques contre la politique menée par le gouvernement Fillon n'appelle aucune accalmie.



DdV a bien sûr joué la carte de son discours de 2003 à l'ONU, où il avait subitement incarné toute la grandeur diplomatique française. Ce fait de gloire lui vaut encore les hourras de la foule, en particulier de la jeunesse métissée des banlieues. De son opposition aux Etats-Unis et à la guerre en Irak DdV tire un prestige international que peu d'hommes politiques français possèdent. Ce 19 juin, dans la continuité de ses propos lors de la conférence à l'IEP de Paris sur le rôle des puissances occidentales en Afghanistan, il a une fois encore pris position contre la guerre, en invitant de manière lapidaire la France à se retirer d'Afghanistan. Il s'est également prononcé contre la mise sous influence de la France par les Etats-Unis en dénonçant le retour dans le commandement intégré de l'OTAN*.
( À ce sujet le Paladin suggère vivement la lecture de l'étude de l'IFRI: La France dans l'Otan daté de juin 2010 et rédigé par Anne-Henry de Russé )

En matière d'influence et d'indépendance, DdV a indiqué qu'il souhaitait une inflexion de l'Europe quant aux domaines stratégiques français de l'énergie et de l'agriculture. Mais s'il souhaite défendre les spécificités françaises au sein de l'Union européenne, il n'envisage clairement pas la France dans une démarche solitaire. Aussi n'a-t-il envisagé la relance européenne qu'en la fondant sur l'espoir d'un retour à l'équilibre et à la coopération du couple franco-allemand comme "centre" et "moteur " de l'Europe.

Cette prise de position s'oppose donc à l'idée généralement partagée chez les gaullistes souverainistes d'une France "seule maîtresse de son destin au sein d'une Europe des Nations". Le constat de DdV est simple: "Sans eux rien ne se fera"; autrement dit: la France sans l'Allemagne n'est rien. Et c'est avec l'Allemagne que devra être conçue et bâtie une gouvernance économique européenne afin d'harmoniser les politiques fiscales et sociales et lutter contre le dumping infra-union européenne. Au passage, on ne trouvera pas un mot de la part de DdV au sujet des élargissements européens successifs et de leurs conséquences.

DdV a également tenu une phrase brève mais forte: "Il ne sert à rien de mener les combats d’hier dans le monde d’aujourd’hui", doublée plus tard d'un "Rien ne sera jamais plus comme avant". Que faut-il en penser? Comment l'interpréter après qu'il ait fait référence aux avancées de la Révolution, de la République et de la Libération, et notamment dans celles produites dans le cadre du programme du Conseil national de la Résistance? Car ils sont nombreux  ceux qui, dans le monde l'industrie et l'entourage du gouvernement, souhaitent se débarrasser de ce modèle politique, économique et social, que certains, comme Denis Kessler, jugent "usé, devenu inadapté":

Contre le programme du CNR

Voir en DdV un pourfendeur du legs du C.N.R. est sans doute abusif, mais il n'est pas interdit de noter qu'on retrouve chez lui une forme d'ambiguïté propre au gaullisme, comme celle liée à la notion du "gaullisme social" ou encore à la méthode politique gaulliste, dont l'exemple le plus fameux reste la fameuse formule du général en 1958 à Alger: "je vous ai compris".

Cette analyse choquera certains, mais n'oublions pas qu'au sortir de la guerre le général de Gaulle a dû infléchir ses positions en considérant la force du parti communiste. Le programme du CNR, socle du gaullisme social historique, est à ce titre un véritable produit de la pensée politique communiste, comme en témoignent, par exemple les points suivants en matière d'économie:
* "éviction des grandes féodalités économiques et financières"
* "organisation rationnelle de l'économie"
* "intensification de la production nationale selon les lignes d’un plan arrêté par l’Etat"
* "retour à la nation des grands moyens de production"

L'idéal gaulliste s'est forgé dans l'environnement communiste fort de 1944 et des années suivant la fin de la seconde guerre mondiale. Les valeurs qui en sont sorties sont le fruit du mélange de la volonté du général et de ses compromis avec le P.C. C'est ainsi que s'est créée la composante sociale du gaullisme. Avec ce discours du 19 juin, DdV semble prendre un écart assez net avec la composante de gauche consubstantielle au gaullisme triomphant d'après-guerre. S'il défend toujours "une certaine idée de la France", selon l'expression si chère aux gaullistes les plus fervents, il n'a aucun doute que cette référence quasi-mystique ne fait plus écho à la même réalité et permet à chacun de s'y retrouver tant qu'on ne reste qu'à la surface des projets.

DdV est un libéral:  il l'avait prouvé avec le CPE. Même s'il s'est sans doute modéré depuis et bien qu'il déclare en avoir tiré les leçons, "il ne suffit pas de croire qu’une idée est juste ; il ne suffit pas de vouloir d’en haut pour qu’une idée chemine", son image reste ternie par ce projet. Le souvenir de l'oppositions massive de 2006 reste très présente, surtout chez les syndicats. La gauche n'est pas son électorat naturel, aussi les ouvertures dans son discours demeurent-elles assez faibles. On ne peut noter à ce titre que l'idée d'une "taxation spéciale des revenus du capital". Mais en revenant sur le principe des 35 heures de travail hebdomadaire, il y a fort à parier que beaucoup s'opposeront de nouveau à lui.

On peut se demander dans quelle mesure les défections des députés Tron et Mariton ont pu affecter la confiance de DdV et donc réduire l'audace de ses propositions. Peut-être s'est-il senti obligé de ménager le corps électoral naturel de la droite, tout en tentant de séduire un autre électorat, comme celui des banlieues qui, avec les classes moyennes et le monde rural, semblent avoir été le cœur de cible de DdV. 

Malgré un discours de politique générale assez consensuelle mais n'offrant que des proposition de réformes sans surprise, l'idée de constituer un parti au dessus de la mêlée semble achopper sur de nombreux points. Il n'est pas sûr que beaucoup de ceux marqués par une sensibilité de gauche se rapprochent du mouvement République Solidaire, à part peut-être quelques transfuges qui n'ont plus l'espoir de voir une politique d'opposition concertée et constructive naître du PS ou qui ne croient pas aux chances de succès du Front de Gauche.

La présence remarquée et médiatisée d'Azouz Begag suffira-t-elle pour intéresser les membres du Modem, parti mort-né avec l'aventure présidentielle personnelle de François Bayrou? L'électorat centriste sera le point-clé pour que DdV l'emporte sur Nicolas Sarkozy en 2012. A ce titre, on peut penser que les entreprises de DdV pour se rapprocher durant les derniers mois des classes moyennes, du monde rural et des banlieues joueront en sa faveur pour séduire un électorat modéré que François Bayrou avait su capter en 2007.

Enfin, sur un autre plan, on peut s'inquiéter peut-être de ce qu'aucun objectif dans le temps n'ait été annoncé hormis un: DdV a de facto posé le pré-requis de deux quinquennats, "dix ans", pour mener son action politique. Mais pour sa force politique naissante: quid de la création des comités régionaux ou locaux? Quid de la participation aux échéances cantonales? Aucune référence aux élections mis à part l'idée d'élire le Sénat "à la proportionnelle sur une base régionale"; pourquoi sur une base régionale? DdV n'a fait aucun développement là-dessus.


On aurait pu attendre des précisions sur ces sujets de la part de Brigitte Girardin. Rien n'a été présenté. L'été approche et avec lui un risque évident d'essoufflement. Il s'était déjà passé du temps entre le rassemblement d'octobre 2009 et celui du 19 juin dernier. De juin à septembre on peut penser que rien ne se produira puisque rien n'a été annoncé. Rien n'a été mise en place dans la Halle Frayssinet pour permettre d'étudier la création d'entités de terrain et gagner du temps sur le calendrier de l'organisation matérielle et humaine du mouvement.

Le discours de DdV n'a pas marqué de profondes ruptures ni annoncé de nouvelles pistes. Il est conforme et s'inscrit dans la continuité de ses discours et prises de positions des mois précédents. C'est une fois encore un peu dommage: il n'a pas créé la surprise ni bousculé les lignes et sans doute manqué l'occasion de marquer les esprits.

Le contenu du rassemblement était assez maigre: rien ne s'est passé de 14h à 15h30. Deux séries d'interventions ont plus ou moins bien occupé l'assistance, ce qui s'est traduit par des acclamations souvent modérées, polies voire gênées, avant que n'arrive DdV, véritable héros de la journée pour ses partisans. De manière générale l'ensemble a manqué de rythme dans la forme et de repères pour l'avenir. Brigitte Girardin a réussi à convaincre les journalistes de la présence de 6000 personnes. Le Paladin en a compté 3500 au maximum: il restait beaucoup d'espace dans la Halle. Le logo du mouvement n'est pas une franche réussite même s'il s'inscrit dans la ligne graphique des partis de droite, ce qui conforte l'idée d'un positionnement à droite du mouvement.

Voici ce qu'il semblait important de dire après ce premier rassemblement de République Solidaire. Il n'était pas parfait, il n'était pas catastrophique. DdV possède un véritable charisme d'homme politique et d'homme d'Etat, mais on peut mesurer l'ampleur du travail encore à fournir par son équipe pour proposer une alternative crédible et forte.

19 juin 2010 République solidaire

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